C’était début juillet. Un jour comme les autres, en milieu de semaine.

Cette après-midi-là, j’étais au bureau. Le matin, en quittant mon appartement, le ciel était une fois de plus d’un bleu éclatant. J’avais mis une robe blanche bustier qui faisait rire une de mes collègues parce que de son bureau, en me regardant, elle avait l’impression que je ne portais aucun vêtement. Elle avait pris une photo et j’avais ri aussi.

Ca faisait des jours qu’il faisait trop chaud. J’avais ressorti mes robes que je n’avais jusque-là portées qu’en vacances. Mettre des pantalons, c’était plus possible.

Je savais qu’il allait pleuvoir, mais la météo ce matin-là m’avait dit que la pluie tomberait un peu sur Budapest en soirée. Une petite pluie à une heure où je serais déjà rentrée chez moi, histoire de rafraîchir l’atmosphère qui devenait de plus en plus pesante, dans les rues de la capitale hongroise et dans son métro surchauffé.

Erreur dans les prévisions.

Vers 15h, les gros nuages ont commencé à noircir le ciel. “C’est la tempête qui arrive”, on s’est dit. Mais quand serait-t-elle là ? Il semblait bien que la pluie allait arriver plus tôt que prévu, avant 17h30 et notre sortie du bureau. Mais pleuvrait-il encore vers 18h ? Pourrais-je rester au boulot un peu plus le temps que la pluie se calme ?

A 15h15, on a tous commencé à s’agiter. Peut-être devrait-on rentrer maintenant chez nous ? La première fois que je l’ai dit, je le disais en rigolant. Et puis j’ai arrêté de rire quand j’ai vu la tête sérieuse de mes collègues.

La lumière du jour disparaissait petit à petit, nous forçant à passer à la lumière électrique bien plus tôt que pour un jour d’été normal.

10 minutes plus tard, la décision était prise. Derrière la fenêtre, les nuages d’un gris profond s’approchaient avec l’envie manifeste de nous tomber sur la tête assez rapidement. On allait partir. On partait tous, en fait. C’était comme si on n’avait pas le choix : rester au travail était un risque apparemment trop grand. Mieux valait être rapidement à l’abri chez nous et y rester jusqu’au lendemain.

Le temps de rassembler nos affaires, le ciel était devenu encore plus noir, s’assombrissant un peu plus à chaque minute. J’avais l’impression de vivre dans un film de fin du monde. Ce genre de film que je déteste regarder.

Le plan était simple : rentrer avant l’énorme séance pluvieuse qui nous attendait et continuer à travailler de chez nous. C’était une histoire de 30 minutes d’arrêt entre le moment où on quitterait le bureau et celui où on se connecterait depuis la maison, à l’abri de la pluie pour toute la soirée.

J’ai d’abord eu la chance de profiter de la voiture d’un de mes collègues, qui allait nous déposer mon copain et moi dans une station de métro. Mais sur le parking, les grosses gouttes de pluie nous avaient déjà rattrapés. Et une poignée de minutes plus tard, à l’heure de descendre de la voiture, il pleuvait tellement fort qu’on ne voyait presque plus rien. Je rigolais en disant qu’on avait décidément pas choisi le bon moment.

Mon collègue a arrêté sa voiture, on est sortis en courant. J’ai sprinté sur les 20 mètres me séparant du métro. Trop lentement pour ne pas être trempée à l’arrivée.

Une fois à l’intérieur de la station de métro, on croyait être sauvés. Le parcours paraissait sans embûche : métro, tram, et deux minutes à pied avant d’arriver à mon appart.

Mais non. Après une station, le métro s’est arrêté, la foule en est sortie et on a suivi. Une attente de 5 longues minutes, au terme desquelles une voix en hongrois nous transmettait un message incompréhensible. Une passagère nous l’a ensuite traduit en anglais mais on avait déjà compris l’idée rien qu’en voyant la tête des gens : le métro ne fonctionnait plus. Il allait falloir continuer autrement.

Oui mais. On était dans une station que je ne connaissais pas, quelque part dans un quartier de Budapest, et pourtant avec cette impression d’être au milieu de nulle part. On a d’abord pensé prendre le bus, mais le bus qui nous intéressait était en fait un trolley bus qui fonctionnait avec l’électricité. C’est seulement après 20 minutes à essayer de se cacher de la pluie tout en l’attendant qu’on a compris qu’il ne viendrait pas. L’électricité avait dû être coupée sur sa ligne aussi.

En se demandant quelles étaient les alternatives qui se présentaient à nous, on a remarqué que le métro fonctionnait dans l’autre sens. On est donc passé au plan B, élaboré seulement quelques secondes auparavant : “on retourne vers la station de métro du boulot et de là on prend le bus – le vrai, celui qui n’a pas besoin d’électricité”.

Ca paraissait simple. Et pourtant.

Une fois montés dans le bus, après l’avoir attendu sous la pluie battante pendant 30 minutes, blottis l’un contre l’autre pour ne pas se taper la crève, on avait atteint la moitié du trajet quand on a été complètement bloqués. Embouteillages interminables, et toujours ces grosses gouttes de pluie qui viennent taper la vitre du bus tellement rapidement qu’elles se transforment en torrent entre le bitume et les roues.

Et puis finalement, comme un miracle qu’on n’attendait plus, la pluie a cessé.

Mais les embouteillages, eux, étaient toujours là. Interminables. Alors on a fini par sortir du bus entre deux arrêts. Ses portes étaient ouvertes, et il était arrêté par l’énorme trafic qui nous avait fait avancer de 20 mètres en autant de minutes. On s’est retrouvés à marcher comme des débiles sur une route qu’on ne connaissait pas, à moitié frigorifiés par nos vêtements trempés, avant de finalement retrouver notre chemin.

Ce jour-là, il nous a fallu 3 heures pour rentrer chez nous, là où normalement 30 minutes sont nécessaires.

Mais le pire, c’était l’état de Budapest : plusieurs grands arbres étaient tombés sur la route et limitaient fortement le passage, les stations de métro étaient inondées, certaines voitures avaient été accidentées par des arbres ou des poteaux électriques tombés dessus, des trous s’étaient formés dans quelques rues.

C’était encore ce film de fin du monde dans lequel je pensais être quand j’avais vu le ciel se noircir derrière les fenêtres du bureau.

tempete-budapest-3tempete-budapest-1Fotó: Bruzák Noémi

Et alors que je pensais que c’était un événement exceptionnel, un mois après, ça recommençait…

Cette fois-là, j’étais plus préparée que lors de la première fois mais les événements n’ont pas cessés de me surprendre.

Ce jour-là, pour éviter le métro qui s’arrête en chemin, on avait décidé de prendre le bus. La pluie a commencé à tomber une fois qu’on était dedans. Au début c’étaient de petites gouttes, qui se sont rapidement transformées en ce même torrent de pluie s’écoulant sur la vitre du bus par laquelle j’essayais sans succès de voir ce qui se passait à l’extérieur. Comme si une cascade se trouvait juste derrière la fenêtre. Au sol, les giclées d’eau me donnaient l’impression d’être dans un bateau.

En sortant du bus, il nous a fallu juste 3 secondes de course sous la pluie pour être complètement trempés. On a fait les 500 mètres restants vers mon appartement en marchant. On était déjà trempés jusqu’aux os alors pourquoi s’embêter à courir ?

On a ri.

Dans mon quartier, tout allait bien. Une fois la pluie arrêtée, on a décidé d’aller à l’appartement de mon copain. Il devait être aux alentours de 21h et de ma fenêtre c’était comme un soir normal après la pluie. Les lumières faisaient refléter les ombres des passants sur les pavés mouillés.

Quelques minutes de marche avaient suffi pour se retrouver dans une situation tout à fait différente. Les rues étaient noires, l’électricité avait visiblement été coupée dans cette partie de la ville.

“Au Brésil, dans une situation comme ça, on serait déjà morts”, me disait-il à propos de son pays. Encore une fois, ce film de fin du monde qui reprenait. Il y avait tellement peu de luminosité qu’effectivement, si Budapest n’était pas une ville sûre, il ne fait aucun doute que quelqu’un nous aurait déjà menacé. La seule lumière qu’on voyait, c’était la lumière tournante de la sirène des pompiers, arrêtés devant un immeuble quelques dizaines de mètres plus loin.

Les feux de signalisation ne fonctionnaient plus. Pas plus que les lumières de la rue ou les lumières dans les maisons. Une fois de plus, il n’avait pas fallu une heure pour que les stations de métro soient inondées.

Budapest, apparemment, fait face à ce genre de tempête régulièrement en été. Et ce qui m’étonne le plus, c’est qu’ils n’ont jamais l’air d’y être préparés. Ils restent juste là, à attendre que le pire passe, avant d’évaluer les dégâts.

Quand j’en parle, on me dit que c’est normal. “C’est plus facile d’évaluer les dégâts après que de changer l’infrastructure de la ville pour faire en sorte que l’eau puisse s’écouler quelque part.”

Normal, peut-être. Mais moi, la prochaine fois, je reste chez moi.

 

(Les photos ne sont pas de moi. Curieusement en plein milieu de la tempête, je n’ai jamais pensé à sortir mon appareil photo. Retrouvez la source des photos en cliquant dessus.)

2 commentaires sur Au milieu de la tempête à Budapest

  1. Wahou je ne savais pas que Budapest avait souvent des tempêtes ! Les photos sont impressionnantes et ça ne doit pas être cool du tout.. ^^

    • Ca dépend de ce qu’on entend par “souvent” évidemment :), j’y ai vécu une année et l’été j’ai dû en voir trois environ. C’était tout à fait normal pour eux mais pour moi c’était impressionnant, je n’ai assisté que très rarement à ce genre de tempêtes dans ma vie ! Disons que c’est… une expérience ahah !