Le brouillard. Si je devais décrire ma première semaine à Budapest en un seul mot, j’utiliserais celui-ci. Brouillard.

D’abord parce que ce cher brouillard n’a pas quitté le paysage pendant mes premiers jours ici. On vivait dans un nuage qui était bien décidé à ne pas quitter le sol hongrois, le ciel était aussi gris que ce qu’il peut être en Belgique et il était parfois difficile de distinguer clairement les bâtiments quand ils étaient à quelques dizaines de mètres. Bon, il faut dire aussi que le soleil se couche pour l’instant vers 16h30, bien plus tôt qu’en Belgique, il faisait donc déjà noir quand je sortais du boulot et ça ne m’a pas aidé à avoir une vision claire de la ville.

Mais aussi parce que ce même brouillard n’a pas non plus quitté ma tête. Mon esprit était dans le même état que le ciel.

La première semaine, je n’ai rien touché à ce qu’il m’arrivait. Comme si je me déplaçais dans un environnement aussi flou et fou qu’un rêve. J’avais parfois l’impression d’être dans une bulle, enrobée par les mots hongrois qui m’isolaient du monde et qu’aucun mot anglais ne venait rompre. Parce que tous les Hongrois ne parlent pas anglais, loin de là. Je communiquais du mieux que je pouvais avec des gestes et des sourires, mais il y avait trop de choses autour de moi que je voulais comprendre sans en avoir la possibilité.

C’était la première fois pour moi que je me retrouvais à vivre réellement dans un pays dont je ne parle pas la langue. Et même pire : une langue dont je n’ai aucun moyen de comprendre ne serait-ce qu’un seul mot, contrairement au catalan, à l’italien ou au portugais par exemple, que je ne parle pas mais qui se rapprochent de mes langues familières. Le hongrois, lui, ne ressemble à rien du tout de connu, il n’y a même aucune lettre à laquelle je peux me raccrocher pour comprendre le sens d’un mot.

Tenez, prenons le nom-même du pays. En français, on dit que Budapest se trouve en Hongrie. En anglais, c’est Hungary. En espagnol, Hungria. Et ça continue comme ça dans toutes les langues que j’ai plus ou moins l’habitude de côtoyer : Hongarije, Hongria,… Mais y a-t-il au moins une lettre pareille au mot en hongrois ? Non, mesdames et messieurs, les Hongrois vivent dans un pays nommé Magyarország ! MAGYARORSZÁG. Il m’a fallu un certain temps pour l’écrire et je n’ai aucune idée de comment le prononcer, car le hongrois ne se lit définitivement pas comme il s’entend. Avant de partir, on m’avait dit que c’était la langue la plus difficile à apprendre. Il fallait que je le voie pour le croire. C’est fait.

J’ai donc pu me mettre dans la peau de quelqu’un qui vit dans un pays sans rien toucher à sa langue. Bien sûr, je suis maintenant habituée au son du hongrois et je me sens moins perdue, bien que je ne comprenne pas grand-chose de plus. Mais j’ai encore du mal à comprendre comment certaines personnes font pour vivre dans cette situation pendant plusieurs années.

Parce que mine de rien, on est tous les jours confrontés à la langue du pays dans lequel on vit et c’est impossible de l’éviter. Ne serait-ce que les fameux “poussez” ou “tirez” sur les portes, ou tous ces mots anodins dont on ne fait plus attention tellement ils font partie de notre quotidien mais qui sont si importants.

Dans la catégorie des situations quotidiennes, il y a d’abord le supermarché… Qui se transforme vite en un véritable défi quand aucune étiquette sur les produits n’est traduite en anglais. Au mieux il y a des traductions en slovène, bulgare, croate et toutes ces autres langues qui ne sont d’aucune utilité quand on essaie de distinguer le sel du sucre ou de savoir si on a à faire à un produit de lessive ou à un adoucissant.
Et la banque, parlons-en… À peine entrée dans la banque, après m’être demandé si je devais pousser ou tirer la porte (et évidemment c’est toujours l’option qu’on choisit qui est la mauvaise), la première étape était de sélectionner sur une machine la raison de notre visite. En hongrois. Coucou. Sans compter qu’une fois cette étape passée il m’a fallu attendre 20 minutes supplémentaires pour que le seul employé qui parle anglais revienne de sa pause.

Mais alors, pourquoi la Hongrie ? Pourquoi Budapest ? La seule réponse que je peux donner c’est que c’est pas moi, c’est le destin.

Après mon diplôme, je me retrouvais pour la première fois de ma vie sans avoir aucune idée de ce que mon avenir allait être fait. Je savais juste que je voulais partir et découvrir quelque chose. Je n’avais pas vraiment de plan plus précis que celui de partir à l’étranger parce que chaque fois que j’en faisais un je me retrouvais confrontée à une situation qui le changeait complètement. Alors j’ai décidé de laisser le choix de ma prochaine destination au destin.

Le destin. J’ai mis aveuglément toute ma confiance en ce mot dont je ne suis même pas encore sûre de croire entièrement à l’existence.

J’ai donc postulé à plusieurs endroits en Europe et dans le monde. Et à chaque fois que j’envoyais un CV, je m’en rendais à ce fameux destin. Si je n’avais pas le job, c’était qu’il avait de meilleurs plans pour moi. Si je l’avais, c’est qu’il avait finalement choisi ma prochaine destination.

C’est comme ça qu’un jour je suis tombée par le plus énorme des hasards sur une publication sur LinkedIn que je n’aurais même pas dû voir si le destin ne s’en était pas mêlé. C’était juste quelques mots à propos du job que j’ai fini par décroché. Et en toute honnêteté, au moment de postuler je m’attendais à tout sauf à l’avoir.

Finalement il se fait que mon destin est un petit farceur parce que c’est dans une entreprise productrice de bières qu’il a décidé de me faire travailler. Moi qui n’ai jamais vraiment aimé la bière, je me retrouve à travailler dans un bureau rempli de pubs pour des bières et où on a des réunions dans des salles appelées Hoegaarden, Corona, Stella Artois et j’en passe. L’entreprise a même son propre bar dans ses bureaux, qui ouvre pour tous les employés une fois par mois.

Je le savais, mon destin m’aime bien. Et cette fois-ci, il a fait fort. Très fort.

Après avoir envoyé une quantité dérisoire de CV, il m’a emmenée dans l’entreprise dans laquelle je rêvais de travailler sans savoir quel nom elle avait. J’ai des collègues géniaux, qui ont tous à peu près mon âge et il y a une super ambiance. Les bureaux sont une vraie tuerie et il n’y a pas de code vestimentaire. Quant à ce que je fais réellement : après 7 ans d’études en communication, c’est dans ce domaine que je travaille. Pas vraiment dans ma spécialisation première, mais je m’en fous. Je ne fais que commencer une carrière que j’ai toujours vue aussi diversifiée que possible et pour le moment il n’y a pas eu un seul jour où j’ai été au boulot avec des pieds de plomb. C’est le plus important.

Pourtant, je ne le cache pas, partir dans le plus grand inconnu pour une période aussi indéterminée que celle que je vais passer à Budapest n’a pas toujours été évident. Les jours qui ont précédé mon départ, j’avais évidemment des dizaines et centaines de trucs à faire mais mon cerveau partait tellement dans tous les sens que j’ai pris mille ans à tout faire.

Quelques heures seulement après avoir atterri à Budapest, j’avais une visite d’appart. En attendant devant la porte pendant 20 minutes dans le froid qui me gelait les pieds, je me suis sérieusement demandé ce que je foutais là. Quelle était cette idée absurde qui m’avait fait venir dans un pays dont je ne comprenais pas un mot de la langue et dans lequel je ne connaissais personne ? Un pays, qui plus est, dont je ne connaissais rien de l’histoire et de la culture et que je n’étais pas capable de placer sur une carte quelques semaines auparavant. Qu’est-ce qui m’avait pris, ce jour-là bien au chaud dans ma maison belge, de dire oui à une offre d’emploi en sachant que j’allais me retrouver sans rien dans un pays inconnu moins d’un mois plus tard ?

En y pensant, j’ai rigolé. Réellement, je me suis foutu de moi et de la situation dans laquelle je m’étais mise. Qu’est-ce qui m’avait pris ?

Au fond, j’ai toujours su la réponse, je l’ai juste oubliée le temps de quelques instants, quand la réalité de ma décision m’a cognée de plein fouet.

Ce qui m’avait pris, c’est juste que j’avais envie de mettre un pas dans l’inconnu total seule. De ne rien toucher à un endroit où j’allais vivre pour pouvoir me donner la chance de me l’approprier à ma façon. De livrer ma vie à mon destin, de me perdre quelque part pour retrouver mon chemin. Seule.

J’avais aussi envie d’écrire un chapitre sur une aventure comme celle-ci.

C’est pour ça que, seule devant cette porte dans une rue grise au froid glacial qui est dans ma tête aussi floue que le brouillard, je n’ai pas ressenti de la tristesse ou de la nostalgie. J’ai juste ri. Vraiment.

Et je me suis traitée de grosse débile.

Aujourd’hui, je finis ma troisième semaine ici et le brouillard a disparu. Les nuages laissent même de plus en plus le droit au ciel bleu de se montrer.

Ça devrait aussi me permettre de faire plus de photos pour le prochain article, parce que j’ai toujours du mal à faire des photos quand le ciel est gris !

2 commentaires sur Ma première semaine dans l’inconnu de Budapest

    • Mercii ! Ca m’a fait plaisir de les relire, je me suis replongée dans le début de mon année à Budapest le temps de quelques minutes :). Bisous !