Il y a 5 ans jour pour jour…

Je prenais l’avion à 8h du matin, me retournant une troisième fois pour faire un dernier signe de la main à mes parents avant qu’ils ne disparaissent derrière un mur. J’avais le cœur serré mais la tête pleine d’aventures.

Il y a 5 ans jour pour jour, j’ai donné à ma vie un autre tournant.

J’ai quitté mon pays avec une énorme valise dans laquelle j’avais essayé tant bien que mal d’entreposer une petite portion de mon univers. Je m’apprêtais à vivre l’une des choses que j’aime le plus : poser mes valises dans une ville que je ne connais pas et passer des semaines et des mois à la faire mienne.

Il y a 5 ans jour pour jour, j’avais passé la nuit à me retourner, me réveiller, somnoler, fredonnant souvent le refrain de “All of Me” de John Legend qui, pour une raison que j’ignorerai toujours, passait en boucle dans ma tête. Ma tête qui, visiblement, n’avait pas vraiment envie de dormir.

Quelques heures plus tard, je mettais les pieds pour la première fois sur le sol hongrois, prête à conquérir un pays que, seulement quelques semaines auparavant, je ne savais même pas placer sur une carte.

De ces premiers moments, j’ai encore des images bien vivaces. Des images qui, au même titre que d’autres souvenirs qui ont marqué mon cerveau, me reviennent en tête quand je retourne dans les endroits qui ont vus mes débuts de ma vie d’expat, ou qui viennent parfois me faire un petit coucou dans des moments improbables.

En 5 ans, beaucoup de choses ont changé et beaucoup d’eau a coulé sous les nombreux ponts que j’ai traversés, mais bizarrement les questions que l’on me pose restent les mêmes. Aujourd’hui, j’ai envie de répondre aux 5 questions qui reviennent le plus souvent (ou plutôt “tout le temps” car en réalité il n’y a pas une seule discussion sur ma vie d’expat qui se déroule sans que l’une de ces questions ne vienne pointer le bout de son nez).

Plusieurs d’entre elles trouvent réponse ici et là dans d’autres articles que j’ai écrits, mais je doute que vous soyez nombreux à vous en souvenir. Aujourd’hui, je centralise donc tout et j’y réponds plus en détail !

1) Pourquoi t’es partie ?

Il y a 5 ans, à l’aube de mon départ, j’avais publié un article, intitulé “Quand la soif de découvertes fait face à la peur de l’inconnu”, dans lequel j’avais mis des mots sur l’état d’esprit qui m’habitait avant ce grand changement. Une façon de pouvoir plus tard retrouver les sentiments que j’avais éprouvés lors des jours et des semaines qui avaient précédé mon départ, et d’essayer aussi d’expliquer la raison qui m’avait poussée à chercher une vie meilleure ailleurs.

Dans cet article, j’avais notamment écrit ceci :

J’aime la Belgique, du fond du cœur et pour toujours. Mais comme ce vieux couple, c’est un amour rempli de tendresse mais qui ne me fait plus rêver. J’aime tout ce qu’elle et moi on a construit ensemble, j’aime la façon dont elle m’a fait grandir. J’ai même parfois peur de la quitter, mais il le faut. Je n’ai plus cette envie irrémédiable de rester auprès d’elle pour toujours. À la place, j’ai une envie insoutenable de partir découvrir la vie en dehors de ces frontières qui m’ont si souvent rassurée.

J’avais des envies d’ailleurs, des envies du monde, de tous ses paysages et de toutes ses villes. J’avais d’inlassables envies de vivre et découvrir des cultures que je ne connaissais pas, d’avoir mon chez-moi dans une rue au nom étranger et de me construire un monde à moi dans celui des autres.

Je pourrais vous dire que tout ça avait commencé quelques années auparavant, avec mon Erasmus. Mais plus j’y pense, plus je me dis que c’était une envie qui était en moi bien avant ça mais à qui je n’avais jamais donné la parole ou, en tout cas, que je n’avais jamais réussi à écouter.

Rebobinons, donc, aux années qui ont précédé mon Erasmus. Je vous emmène à l’aube de mes 20 ans.

Le passage à la vingtaine me faisait peur, je me sentais déjà très vieille et j’avais cette épouvantable impression que ma vie coulait entre mes doigts. À l’époque, je ne me voyais pas vivre autre part qu’en Belgique, et pourtant quand j’y repense il y a quelque chose qui me manquait. Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus, mais je pense bien que c’est ça : l’international, la vie en-dehors de mon propre pays. J’avais envie de découvrir le monde et j’étais sans cesse curieuse par rapport à la vie ailleurs. Si le temps me paraissait s’écouler aussi vite, c’est parce que je ne le prenais pas pour partir à la découverte de tous ces endroits qui me faisaient rêver.

Le déclic, cependant, c’est bien lors de mon Erasmus que je l’ai eu. J’avais 22 ans, et j’ai vécu plusieurs mois à Salamanca, en Espagne. Je n’en suis jamais revenue indemne. C’était en 2012 et, depuis, l’envie de vivre ailleurs ne m’a jamais quittée.

J’ai essayé pendant quelques mois de retrouver ma place en Belgique, mais j’ai fini par abandonner.

Mais pourquoi aller vivre ailleurs, vraiment ? Pourquoi ne pas partir découvrir le monde et puis revenir ? Pourquoi ne pas se contenter des vacances pour voir la vie en-dehors de la Belgique ?

C’est difficile à expliquer, et ça l’est d’autant plus à le faire comprendre. C’est tout un tas de raisons, certaines insignifiantes aux yeux des autres et d’autres sur lesquelles je ne peux même pas mettre les mots, voire le doigt.

Je dis toujours que j’ai beaucoup aimé ma vie en Belgique, mais qu’elle ne me correspondait plus. Il y avait, d’abord, l’impitoyable ciel gris à la belge que je ne pouvais plus supporter, après avoir vécu des mois sous le ciel bleu espagnol. Et puis il y avait surtout cet infatigable sentiment de ne plus être à ma place, de ne plus être chez moi dans le pays qui m’a pourtant tout donné.

Alors après mon Erasmus, je suis restée encore deux ans en Belgique, le temps de finir mes études. Et puis je suis partie.

2) Pourquoi là-bas ?

Ma première ville d’expatriation, c’était Budapest, en Hongrie. J’y ai vécu un an avant de partir pour Prague (en République tchèque), où je suis restée près de trois ans. Je suis ensuite partie à Paris, où je vis depuis un peu plus d’un an.

Au long de ces 5 années d’expatriation, surtout à Budapest et à Prague, la question qu’on m’a le plus posée, c’est sûrement celle-là : “Comment une Belge a atterri ici ?”.

J’y ai répondu tellement de fois que mes doigts pourraient écrire la réponse les yeux fermés.

Tout a commencé fin 2014. Mon diplôme fraîchement en poche, j’ai commencé à chercher un travail n’importe où sauf en Belgique. À l’époque, je savais déjà que je voulais vivre en Espagne mais, avant d’aller y installer mes clics et mes clacs indéfiniment, j’avais envie d’ajouter un petit chapitre intermédiaire à mon histoire. Je cherchais préférablement un stage, un contrat de quelques mois ou toute autre courte expérience dans un nouveau pays, mais je suis tombée sur une offre pour un contrat à durée indéterminée. À Budapest.

C’était tout à fait par hasard, en parcourant mon fil d’actualités sur LinkedIn. Je n’avais jamais vraiment entendu parler de Budapest, alors j’ai tapé le nom de la ville dans Google Images. J’ai appris que c’était en Hongrie (oui, pardon, les cours de géographie étaient loin derrière moi) et, surtout, j’ai vu beaucoup de photos de son incroyable Parlement. À vrai dire, je n’ai presque vu que des photos de lui mais je me suis dit que si la ville était laide, j’aurais au moins un endroit joli à aller admirer pendant le week-end. Alors j’ai postulé.

L’offre d’emploi me correspondait presque parfaitement et le jour d’après, mon téléphone sonnait.

Tout s’est fait très vite. D’après mes souvenirs, j’ai eu le job en moins d’une semaine et moins d’un mois plus tard je me retrouvais dans cette nouvelle ville, dans un pays dans lequel je n’avais jamais été et dont j’avais rarement entendu parler.

Au final, mes “quelques mois d’exploration avant l’Espagne” se sont transformés en plusieurs années. Mais, bien que ça étonne encore mes potes qui m’entendent parler de l’Espagne depuis 2012 (ils sont un peu lents à la détente, entre vous et moi), j’ai toujours l’intention d’aller m’y installer. D’ici quelques années… si tout se passe comme dans mes plans (ceux de la version revue et corrigée) !

3) T’es courageuse, t’as pas eu peur ?

Depuis mon départ de nombreuses personnes m’ont dit que j’étais courageuse, mais face à de tels propos je me sens toujours comme une imposteuse : pour moi ce n’était pas un acte de bravoure, c’était une suite logique.

J’avais besoin de quitter la Belgique pour me reconstruire et, plus que ça, j’avais besoin de quitter la Belgique tout court. Je ne savais pas ce que le futur me réservait mais je savais que j’allais le trouver ailleurs.

Alors, tout comme on prend le chemin de l’école quand vient l’âge de le faire ou celui du travail quand on en a fini avec les bancs scolaires, moi j’ai pris l’avion pour partir. Depuis des années, bien avant que je sache où aller, c’était l’issue claire et logique. C’était en fait la seule issue, la seule possibilité, la seule option que j’avais. Aucune autre ne valait.

Bien sûr, avant de partir j’ai connu des moments de stress. Bien sûr, parfois je me suis demandé ce que je faisais. Je l’explique dans l’extrait ci-dessous, pris du premier article que j’ai écrit après mon départ à Budapest

Quelques heures seulement après avoir atterri à Budapest, j’avais une visite d’appart. En attendant devant la porte pendant 20 minutes dans le froid qui me gelait les pieds, je me suis sérieusement demandé ce que je foutais là. Quelle était cette idée absurde qui m’avait fait venir dans un pays dont je ne comprenais pas un mot de la langue et dans lequel je ne connaissais personne ? Un pays, qui plus est, dont je ne connaissais rien de l’histoire et de la culture et que je n’étais pas capable de placer sur une carte quelques semaines auparavant.

Ce qui m’avait pris, c’est juste que j’avais envie de mettre un pas dans l’inconnu total seule. De ne rien toucher à un endroit où j’allais vivre pour pouvoir me donner la chance de me l’approprier à ma façon. De livrer ma vie à mon destin, de me perdre quelque part pour retrouver mon chemin. Seule.

Mais ces questionnements et ces petits moments de stress ne sont jamais restés bien longtemps dans mon esprit. Quelques minutes tout au plus, avant que je ne les chasse de la main (même s’ils allaient peut-être encore revenir à l’attaque un peu plus tard). Je n’y ai jamais prêté trop d’attention, tant et si bien qu’ils ne se sont jamais transformés en peur ou en courage.

Alors, suis-je courageuse ? Oui, peut-être. Mais, vraiment, pas pour ça.

Oui, quitter ma maison et ma famille m’a pincée le cœur. Mais je n’ai eu besoin d’aucun courage. Je savais que j’allais vivre une belle aventure, je savais que mon futur se trouvait quelque part dans ce premier billet d’avion. Et j’avais tellement hâte de voir où la vie m’emmènerait.

4) Tu reviens quand vivre en Belgique ?

Jamais. Vraiment, ce n’est pas dans mes plans.

J’ai envie de dire que vous l’avez sûrement compris si vous avez lu les réponses aux trois premières questions, mais moi-même je m’étonne du nombre de gens qui continuent à me poser la question.

Certaines personnes pensent, en fait, que j’ai quitté la Belgique parce que je vivais une mauvaise passe dans ma vie et que j’avais besoin d’aller ailleurs pour respirer. Et que, du coup, maintenant que j’ai retrouvé un nouvel équilibre et que je suis très heureuse, il est temps pour moi de revenir.

Mais, même si j’avais effectivement besoin de respirer et de m’éloigner de mon passé, c’est loin d’être la seule raison qui m’a poussée à partir. C’est, d’ailleurs, juste une petite raison parmi d’autres qui sont venues s’ajouter à une envie plus grande. Une petite raison qui a donné le dernier coup de pouce qu’il me fallait pour partir. Et puis, comme je l’explique dans ce texte publié sur ma page Facebook, il y a une indéniable réalité qui me pousse à rester en-dehors de mon pays d’origine : je me sens vivre toujours un peu plus fort quand je suis ailleurs.

Et puis, outre les personnes qui connaissent déjà les raisons qui m’ont poussée à quitter la Belgique, c’est aussi l’une des questions qui m’est posée le plus souvent par les personnes qui viennent de me rencontrer. Quand on vit dans un autre pays que le nôtre, en fait, c’est une question que l’on entend énormément.

Je n’en veux à personne et à vrai dire je les comprends, parce que je pose moi-même souvent sa variante, à savoir : « tu comptes retourner vivre dans ton pays d’origine un jour ? ».

La réponse est souvent oui, et en 5 ans d’expatriation, j’ai eu le temps de me rendre compte que le fait qu’on ne veuille jamais retourner dans son pays d’origine, ça choque beaucoup de gens. Même ceux qui sont partis vivre ailleurs pour un petit moment.

5) La Belgique ne te manque pas ?

Oui et non. Mais surtout non.

Qu’on se le dise, j’ai adoré ma vie en Belgique. C’est quelque chose qu’il est important pour moi de toujours souligner. J’ai adoré mes années d’école et j’ai vécu de nombreux beaux moments à l’université. La Belgique est remplie de magnifiques souvenirs que j’espère garder précieusement tout au long de ma vie.

Et en plus des souvenirs, la vie en Belgique me semble remplie d’avantages que je ne peux nier. J’aime notamment le fait qu’en Belgique les gens sont plus gentils (pardon mais… Budapest, Prague et Paris ? Pas facile de faire le plein de gentillesse dans des villes pareilles !), l’offre de billets d’avion pas chers est absolument imbattable en Europe, j’ai mes habitudes et beaucoup de choses me paraissent plus simples.

Mais la vie que j’avais là-bas avant n’existe plus, j’en ai fait mon deuil il y a des années, elle ne me correspond plus et, surtout, je n’ai pas envie de m’en créer une nouvelle.

Alors non, la vie en Belgique ne me manque pas. Ce qui me manque, c’est mon entourage. C’est vivre près de ma famille. C’est vivre près de mes amis belges aussi, surtout quand je me rends compte que je manque d’importantes parties de leur vie en étant loin d’eux.

Mais tout choix demande de faire des concessions, et celles-ci sont les miennes.

Et vous, vous vivez en-dehors de votre pays d’origine ? Vous aimeriez y retourner un jour ? Ou si vous y vivez toujours, vous rêvez parfois de vivre ailleurs ?

8 commentaires sur 5 ans d’expatriation : 5 questions qu’on me pose souvent

  1. J’aurais beaucoup aimé faire un Erasmus mais je n’avais pas assez confiance en moi au niveau des langues alors je n’ai jamais déposé de dossier et je suis restée… pourtant j’aurais adoré ! J’aime beaucoup découvrir d’autres façons de vivre, langues, etc. mais au final je le fais très peu… mais ‘aimerais bien vivre à l’étranger, oui, en Amérique latine ou en Espagne.

    En tout cas je trouve que tu as un parcours très intéressant et très riche !
    J’avoue que je te jalouse un peu 😛

    • Mon Erasmus était une expérience formidable et je conseille toujours à tout le monde de partir en Erasmus s’ils le peuvent, mais ce n’est pas parce que tu n’en as pas fait que tu as perdu l’opportunité de vivre à l’étranger. Il y a tellement d’autres moyens de vivre à l’étranger, que ça soit pour quelques mois ou pour plus longtemps. Je te souhaite vraiment de vivre cette expérience un jour :)!

      • J’adorerais faire un service volontaire européen ! Ou du bénévolat pour des réserves animales à l’étranger… je verrais bien ce que j’aurais l’occasion de faire !

  2. Magnifique ! J’aurais voulu pouvoir l’écrire ! J’ai quitté mon pays, (l’autre pays francophone d’à côté) en… 1992 et depuis … vogue la galère ! et oui et non la France me manque mais comme toi : surtout non !
    Et comme c’est étrange de retourner voir sa famille et de découvrir que les gens ont changé mais finalement pas tant que ça, et qu’on a du mal à faire partager son quotidien, enfin avec ceux que ça intéresse car oui, c’est souvent la peur qui restreint les mouvements mais comme tu l’exprimes si bien : c’était une évidence ! Merci !
    C’est d’ailleurs la première fois de ma longue vie que je laisse un commentaire sur un blog !

    • Merci mille fois pour ce commentaire, il me fait très plaisir ! Et je suis tellement d’accord avec toi pour l’étrange sentiment de voir que les choses changent mais pas tant que ça non plus dans notre pays d’origine. C’est normal que la vie suive son cours et qu’elle ne soit pas chamboulée tout le temps, mais quand on vit ailleurs c’est parfois un peu déroutant. Ca sera peut-être un peu moins étrange pour moi quand je vivrai dans le même pays et la même ville pendant plus de 5 ans mais ces 5 dernières années j’ai changé trois fois de pays, ce qui a donc changé ma vie trois fois. Pas facile, dans ce cas-là, de se mettre au même rythme que ceux qui sont restés dans le pays qu’on a quitté :).

  3. Rester dans le même pays plus de cinq ans ? En seras-tu capable ? Je veux dire sauras tu résister à l’appel des sirènes car ailleurs, autre part, il y a encore autre chose que tu voudras découvrir ! C’est un piège ! Et difficile de ne pas y tomber ! Le seul endroit où je sois resté 5 ans est le Rainbow Nation mais j’ai déménagé trois fois dans ce pays continent. Mais honnêtement, je ne conçois la vie que comme ça !
    Bonnes découvertes, bonnes aventures, je te souhaite le meilleur mais tu as suffisamment d’ouverture d’esprit pour le trouver.

    • Oui, je crois bien que j’en serai capable :)! Arrêter de voyager, ça jamais. Mais me poser dans un pays (l’Espagne, en l’occurrence !), oui. J’adore emménager dans de nouvelles villes et une vie comme la tienne me semble remplie d’aventures extraordinaires, mais j’ai aussi envie de me poser quelque part pour de bon. Ou en tout cas pour une période indéterminée, plus longue que “seulement quelques années” :).