De tous les peuples de l’Europe, les Tchèques sont les plus antipathiques.

Voilà ce qu’aurait probablement dit Jules César, tout droit venu de son Italie ensoleillée, bon enfant et souriante, s’il avait atterri à Prague en 2016.

C’est l’histoire du plus mauvais serveur du monde, celui que j’appelais d’une main timide et qui passait devant moi sans me voir. Celui que je finis par appeler d’un petit “excusez-moi ?” en croyant qu’il ne me voyait pas, et qui se retourne en haussant fortement la voix pour me dire “tu peux attendre une minute, non?!”. Oui je peux attendre même 10 minutes si tu me montres que tu m’as vue et t’arrêtes de me faire lever la main pour rien comme une débile.

C’est l’histoire de cette femme qui a loué un appartement à mes parents, et qui en me voyant devant la porte le premier jour nous dit “vous êtes 3 ?! Mais c’est un appartement pour 2 !!” avant même de dire bonjour.

C’est l’histoire de ces caissières qui ne disent pas bonjour, pas au revoir, et ne sourient pas. C’est l’histoire de ces collègues qui font pareil.

C’est l’histoire de cette dame à l’accueil des étrangers à l’hôpital, qui me voit dans un mauvais état mais n’hésite pas une seconde à me dire qu’elle ne peut pas m’aider, qu’il n’y a pas de médecins pour moi à l’hôpital et qu’elle ne sait pas où je pourrais trouver un médecin (bien sûr…). (Pour la petite histoire, je suis retournée à ce même hôpital en désespoir de cause deux jours plus tard et suis tombée sur un homme charmant qui m’a fait voir un médecin de l’hôpital – deux jours perdus pour une enfoirée).

C’est l’histoire de ce serveur qui vient à notre table alors qu’on vient de s’asseoir, nous dit “only drink no food”, nous voit lui répondre que c’est parfait pour nous, part sans rien dire et passe les 10 minutes suivantes à passer et repasser devant nous sans jamais s’arrêter à notre table. On est partis avant qu’il se décide à venir prendre commande.

C’est l’histoire de cette secrétaire qui décide de raccrocher en plein milieu de mon appel parce que je parlais anglais et que visiblement elle en a marre de parler anglais.

C’est l’histoire, d’ailleurs, de tous ces gens qui font mine de ne plus savoir comment parler anglais au bout d’un moment ou qui décident de te traiter beaucoup moins bien juste parce que tu parles anglais.

C’est l’histoire de cette serveuse qui nous fait changer de table parce que celle où on nous a assis porte la pancarte “Réservé” et elle n’arrive pas à mettre la main sur notre réservation, effectuée pourtant dans la même journée. Alors on bouge, gentiment, vers une table à trois mètres de là, complètement similaire à la première si ce n’est qu’elle ne comporte pas la fameuse petite pancarte. Et on passe toute la durée du repas à voir notre première table rester vide, et ne se remplir qu’à l’heure où on part.

C’est l’histoire de cette personne croisée sur un passage pour piéton, qui me déboite presque l’épaule en passant à côté de moi et en me donnant un coup d’épaule bien voulu. Peut-être que j’étais sur son chemin, mais en me retournant pour voir ce qui s’était passé je n’ai vu personne me regarder, ni méchamment ni d’un regard désolé, juste personne. C’était la deuxième fois en deux jours, j’en pouvais plus de ce lot de méchanceté au quotidien, j’ai craqué.

Parce que parfois, à force de recevoir des coups bas avec le sourire, à un moment j’explose. Je pète un câble. Je pleure. J’ai envie de partir le plus loin possible et de tout laisser en plan. Et pendant 30 minutes je laisse leur propre méchanceté me gâcher la journée. Et ça ne devrait jamais être le cas.

Bien sûr, à côté de ça il y a ceux qui nous surprennent. Comme ce serveur incroyablement gentil qui me conseille son meilleur plat. Ces vendeuses qui t’accueillent avec un sourire. Cet homme qui s’arrête dans la rue en nous voyant perdus et nous demande où on cherche à se rendre. Ce médecin qui prend bien son temps à tout m’expliquer et à me mettre à l’aise. Ces collègues qui sourient plus qu’il n’en faut et nous aident dès qu’on vient leur poser une question. Autant de gens qui me donnent chaque fois un peu d’espoir pour la ville, mais qui ne forment malheureusement qu’un petit groupe.

Peut-être que Prague a trop souffert de son passé. J’espère alors que les générations à venir seront plus gentilles.

Mais pour l’instant, c’est une ville à fuir pour les gens comme moi.

Oui je sais, Prague est une ville magnifique. Mais que voulez-vous, la magie ne prend pas.

Après 10 mois dans la ville, je le vis mieux qu’à mes débuts. Mais je vous l’avoue, j’ai peur que ça soit parce que petit à petit je deviens comme eux.

Pour le moment, je suis dans un entre-deux. Je ne suis pas méchante, mais je ne suis pas non plus aussi gentille et ouverte que d’habitude. Je suis méfiante, à chaque fois. C’est la seule façon que j’ai trouvé de me protéger.

Après des mois à m’en prendre plein la gueule et à encaisser du mieux que je le pouvais, j’en suis arrivée au point de ne plus essayer de parler aux gens. Je ne parle aux Tchèques que quand ce sont des amis d’amis et que je peux donc être sûre qu’ils sont gentils. J’essaie de m’effacer de leur vie le plus possible et de n’en confronter que très peu, parce que chaque méchanceté est un coup bas que j’encaisse.

Cette situation n’est que temporaire. On ne sait pas encore combien de temps on restera à Prague mais on pense déménager dans l’année, si on trouve quelque chose ailleurs. Et ça me rassure.

Parce que je refuse de continuer à vivre dans cette peur de l’autre. Je refuse de continuer à me fermer. De continuer à m’habituer tellement à être distante que j’en oublie parfois de répondre quand quelqu’un me dit bonjour.

Je refuse d’accepter entièrement cette situation juste dans le but de pouvoir rester à Prague. Au fond, pourquoi voudrais-je m’habituer à vivre dans une ville où il est si dur de trouver quelqu’un de gentil ? Où à chaque fois que je m’adresse à quelqu’un, j’attends dans le suspense le plus total de savoir si j’aurai un sourire ou pas, un mot gentil ou pas, un mot méchant ou pas ? Où chaque fois que j’appelle un serveur ou m’approche d’un caissier, j’ai la boule au ventre dans l’attente de leur réponse ?

Alors ici, devant vous, je jure que Prague ne m’aura pas. Qu’elle a beau être jolie, je ne m’y ferai jamais entièrement. Que je ne déciderai jamais de m’habituer à la méchanceté gratuite des gens, ni à leur négativité, ou aux journées sans sourire. Le risque est trop grand de devenir méchante à mon tour.

Moi ce que je veux, c’est des sourires, des mercis, des bonjours et des aux revoirs. Je veux des clins d’œil et des petites blagues avec des personnes que je ne connais pas.

Mais Prague, ce n’est pas ça.

Et le problème, il est là…

À Prague, l’enfer, c’est les autres.

10 commentaires sur L’enfer de Prague

  1. Cela me fait tout bizzard ce que tu dit de Prague. Je te crois et je te comprend bien sur. Prague j’y suis aller en 1995, j’était en classe de première, et l’on faisait un échange linguistique avec des jeunes slovaque. Je me souvient d’un pays qui venait de quitter le grand frère russe, le petit frère slovaque. L’histoire de cette parti du monde est peut être encore trop présente. Quoiqu’il en soit merci pour ces jolies photos, j’avais l’impression d’avoir 17 ans. 🙂

    • Merci beaucoup pour ton commentaire :)! Tout dépend évidemment des gens que l’on rencontre et de notre centre de référence. Certaines personnes ne sont pas du tout autant choquées que moi par la méchanceté des gens (surtout présente dans les magasins, restaurants et autres services au public) mais je dois dire que c’est un sujet qui revient très souvent sur le tapis dans les discussions entre expats. Concernant l’histoire, c’est ce que je me dis aussi. Et je pense qu’ils n’ont pas la même vision du service client que celle qu’on a en Europe de l’ouest, et ça choque beaucoup parce qu’on n’y est pas habitués.
      Quant aux photos, je compte publier dans les jours à venir un article avec plus de photos de Prague :)!
      Bisous et bonne journée !

    • Merci beaucoup ! Effectivement je fais de mon mieux pour m’habituer à l’environnement tout en restant moi-même :). Bisous !

  2. C’est fou ce que tu racontes ! je suis allée 2 fois à Prague. Je me souviens que la première fois, j’avais en effet ressenti cette dureté que tu racontes, ce côté anguleux et fermé. Pas la deuxième, j’étais trop hypnotisée par la beauté de la ville. Mais sans doute avais-je ressenti la première fois ce que tu racontes. Je suis navrée !

    • C’est drôle, j’essaie de faire comme ta deuxième fois : être tellement hypnotisée par la beauté de la ville que j’en oublie son mauvais côté. Ca fonctionne de plus en plus et ça me fait extrêmement plaisir, parce que ça ne vaut pas la peine de se gâcher une partie de la journée pour quelqu’un qu’on ne connait pas. Bisous et merci pour tes commentaires, ça me fait super plaisir 🙂 !

  3. Coucou ! J’aime beaucoup ton article. Je reviens de Prague et je dois dire que même en 3 jours j’ai vu quelques similarités avec ce que tu dis dans cet article. Pour moi, il est normal de dire bonjour & au revoir quand on se rend dans un magasin ou dans un restaurant… ça ne l’est apparemment pas là bas. Mais, heureusement j’ai aussi croisé des gens très gentils et serviables! Il suffit de garder un peu espoir je pense.. !

    • Merci beaucoup Hannah :)! Je croise aussi des gens très sympa, heureusement ! Je pense que je n’irais plus au restaurant si absolument tous les serveurs de Prague étaient odieux :D. Je m’habitue de plus en plus à avoir des réflexions méchantes mais parfois c’est pas facile quand même, et vu que j’ai le sang assez chaud c’est parfois très dur de ne pas répliquer et de rester calme ahahah !

  4. Je decouvre cet article un peu tard, je ne sais pas s’il est toujours d’actualité mais beaucoup de tes exemples auraient également pu se produire dans mon pays en France…les gens sont de moins en moins sympathiques partout malheureusement!

    • Disons que c’est toujours d’actualité mais que j’ai eu le temps de m’y habituer ahah 🙂 ! Oui je sais qu’on trouve partout des gens qui manquent de gentillesse ou de délicatesse, mais je pense qu’à certains endroits c’est plus fréquent. Quoiqu’il en soit, c’est dommage que tu en croises de plus en plus :(.