Je suis arrivée à Prague pour les mauvaises raisons et les mauvaises personnes. Mon départ pour la capitale tchèque est parti d’un arrachement plus fort que ce que je peux en écrire ici, et c’est sur ce mauvais pied que mon histoire entre la ville et moi a commencé.

Il était la suite logique et raisonnable que je devais donner à la fin de mon aventure à Budapest. Mais c’était un choix qui n’en était pas vraiment un. Et bien que j’adore follement découvrir une ville au moment où j’y pose mes valises pour m’y installer et y vivre, avec Prague ça a été différent.

J’ai vu Prague comme une obligation dès le moment après avoir décidé d’y aller. J’ai vu Prague comme une date butoir qui se rapprochait plus vite que prévu, comme une main qui allait m’arracher de Budapest.

Et mon premier mois et demi dans la ville a alors été tâché de la nostalgie de Budapest. Comme des yeux embués qui rendent le focus impossible, comme une goutte qui efface la beauté des paysages, comme un goût amer qui noie la note sucrée.

Je n’ai presque pas visité Prague jusqu’à présent. Et je le savais inconsciemment mais je m’en suis rendu compte seulement le week-end passé : c’est parce que je n’avais pas cette étincelle que j’avais jusqu’ici chaque fois que je partais vivre dans une nouvelle ville. Salamanca, Barcelona, Budapest, tant de villes dans lesquelles les premières semaines ont sûrement été les plus excitantes pour moi. Marcher pour la première fois dans des rues qu’on sait qu’on va prendre des centaines de fois, découvrir des paysages qui vont nous devenir familiers sans qu’on s’en rende toujours compte, s’apprêter à laisser son cœur quelque part avec le sourire, c’est généralement une drogue pour moi.

Mais pour Prague, je n’ai pas retrouvé cette excitation. Bien sûr il a fait froid, bien sûr il a fait gris, bien sûr j’ai été malade, mais tout ça ne sont que des excuses. La vérité, c’est que je n’ai presque rien vu de Prague parce que je n’en avais pas le cœur. Pas le cœur de voir celle qui m’a arrachée trop tôt et trop brutalement d’une vie que je m’étais construite dans sa sœur hongroise.

Evidemment, tout n’a pas été aussi gris que la couleur du ciel depuis que je suis arrivée.

Le premier jour, à vrai dire, j’étais soulagée. Soulagée d’être enfin à Prague. D’en avoir enfin fini avec le déménagement, mettre ma vie dans des boites, démonter mes premiers meubles dont je ne voulais pas me séparer, désespérer devant tant de choses cachées dans des armoires et si peu de caisses. Marcher dans les rues de Budapest avec cet étouffant sentiment que je devais en profiter, que je devais voir chaque détail, regarder sa beauté à m’en brûler les yeux pour en avoir assez, tout garder en mémoire pour survivre de mes souvenirs jusqu’à la prochaine visite. Profiter de chaque moment avec les amis parce qu’on ne sait pas quand on les reverra. Et se retrouver à attendre la date fatidique dans un appart à moitié vide.

Alors oui, quand je me suis assise dans le train vers Prague avec ma grosse valise que j’avais réussi à tirer au haut des marches sans qu’elle ne me fasse tomber sur le quai (et ce fut un exploit, croyez-moi), je me suis sentie soulagée. Quand je suis arrivée à mon hôtel après avoir tiré cette énorme valise dans les rues montantes de Prague et manqué de souffle tous les 10 mètres, mes mains brûlant chaque fois un peu plus de tirer les lanières irritantes, j’ai été soulagée. Quand, le lendemain, j’ai pris ma valise pour un dernier trajet et suis arrivée à l’appart que j’avais loué pour deux mois, je me suis sentie extrêmement soulagée. Enfin, tout était fini. Le stress, la peine du départ, tout était derrière moi. Je pouvais recommencer de nouveau.

Sauf que. Je me suis rendu compte il y a une semaine que je n’ai vu que les mauvais côtés de Prague depuis que je suis arrivée.

Et c’est seulement en me baladant, le week-end passé, entre l’appartement que j’ai enfin trouvé (et dans lequel j’emménage en avril) et le centre-ville, que j’ai réellement réalisé tout l’enchantement de la ville que j’avais jusqu’à présent beaucoup trop sous-estimé. Parce que c’est le mot : enchantement. La ville est un enchantement. Prague, c’est l’impression qu’on marche dans les rues d’un conte de fées, aux bâtiments pastel venus d’un autre temps et pourtant si bien conservés.

Mais…

Prague victime de son succès

Je suis tombée un peu plus malade de Prague à chaque fois que j’annonçais avec de la tristesse dans les yeux que je devais partir de Budapest pour Prague. “Oh mais c’est génial, Prague est une ville magnifique !”. J’en devenais amère. Est-ce que t’as entendu que je te disais que je devais quitter les meilleurs collègues du monde, peut-être les meilleurs que j’aurais jamais, pour aller à Prague ? Quelle partie de “ma vie à Budapest est géniale” et “Prague n’est pas une motivation suffisante pour partir maintenant” t’as pas entendu ?

Et puis, tu connais pas Budapest. Donc de quoi tu parles ?

Budapest est tellement belle et majestueuse, mais il semble malheureusement qu’elle ne peut se trouver autre part que dans l’ombre de Prague.

Prague et Budapest sont deux villes très différentes, bien qu’elles aient puisé certaines de leurs inspirations aux mêmes endroits et que je puisse voir dans certains coins de Prague un peu de Budapest. Et bien que Prague est indéniablement une ville magnifique, il y a des choses pour lesquelles elle n’arrivera jamais à la cheville de Budapest. La vue de nuit sur le Danube avec le Parlement, le Château et le pont des Chaînes éclairés : je doute que Prague puisse m’ensorceler autant que cette vue. Les soirées d’été dans les bars cachés dans des cours intérieures : je doute que Prague puisse les surpasser.

Mais pire que de simplement voler la vedette à Budapest, Prague est aussi tout simplement trop touristique, avec ses hordes de touristes déferlant dans les rues à tous moments de l’année. Qui peut les blâmer, vous allez me dire. Prague est magnifique.

Mais Prague en deviendrait peut-être même prétentieuse, avec ses billets d’avion hors de prix. Déjà la liste de destinations au départ de Prague est ridiculeusement maigre, mais en plus les prix sont honteusement élevés. Et quand je veux voyager, il y a peu de choses qui m’énervent plus que ce genre de destinations. Hors de prix. Ça veut dire pour y aller mais aussi pour en sortir le temps d’un week-end. Redescend sur terre, Prague. De quel droit tu te prends ?

Le ciel aussi gris que les gens et ses bâtiments tant adorés

Et ce n’est pas tout. Depuis que je suis arrivée à Prague, je peux compter sur les doigts de la main les jours où j’ai vu un ciel bleu. Oui je sais, je parle des mois de janvier et février. Mais des collègues m’ont dit que c’était comme ça super souvent à Prague, même quand l’hiver est parti depuis longtemps.

Je me refuse de les croire, mais pour quelqu’un qui a fui le ciel gris de la Belgique, c’est bien parti.

Je sais pas vous, mais moi le ciel gris ça me tape sur le moral. Et vraisemblablement il tape sur le moral de pas mal de gens ici parce que les Tchèques… Ils sont pas gentils.

 

Bien sûr, il y a des exceptions, et j’ai rencontré des gens adorables. Mais la plupart sont froids et ne sourient pas. Alors oui, moi je décide d’en rire quand le guichetier lève les yeux au ciel quand je demande quelque chose, parce que c’est drôle de voir à quel point les gens peuvent se ruiner leur journée pour des petites raisons, c’est risible. Et oui j’ai ri quand, cette semaine, j’ai eu à faire à la pire caissière de ma vie : pas un sourire, pas un regard, pas un mot, et pour creuser un peu plus vers le fond du classement des caissières, elle mettait mes achats de son côté, super loin de moi, de sorte que je devais m’étendre de tout mon long pour les prendre.

Mais même si on prend ça avec le sourire, parfois ça t’atteint un peu trop fort et ça te tape sur le moral.

Et au bureau, l’ambiance de Budapest me manque terriblement. Pas que l’ambiance à Prague soit horrible, non. Loin de là. Elle est même sûrement meilleure que dans beaucoup d’autres bureaux, mais quand t’as connu Budapest tout n’est que plusieurs crans en-dessous. À Budapest, tu croisais quelqu’un dans les couloirs, même si tu connaissais pas la personne tu souriais et on te souriait en retour, puis tu disais bonjour. Dans les toilettes, t’allais même jusqu’à parler un peu avec des gens dont tu connaissais même pas le nom, voire un peu beaucoup parfois. Tu te faisais des amis à chaque coin de couloir. Ici quand je souris la plupart du temps je me retrouve face à un mur. La dernière fois lors d’une soirée d’entreprise j’ai commencé à parler à des gens dans les toilettes et personne m’a répondu. Coucou. J’ai ri toute seule, mais au final une fois de plus ça me tape sur le moral.

Moi j’aimerais bien que les gens sourient. Je pensais que ça faisait partie du pack de capacités innées, vous savez : celles qu’on reçoit à la naissance. Mais visiblement ils ont oublié les Tchèques dans la liste des destinataires.

Et c’est quoi le deal avec les bâtiments noircis ? Le Pont Charles ? Noir. Le Musée national ? Noir. Les tours un peu partout dans la ville ? Noires. De pollution, j’imagine. Alors oui les maisons de poupées sont magnifiques, mais moi ça me dérange ces bâtiments noircis qui se veulent magnifiques.

Et je ne parlerai même pas du bâtiment emblématique de Prague, l’Église de Notre-Dame du Týn, qui me fait tout simplement complètement peur, comme tout droit sortie d’un conte de sorcières. (Sérieusement, je suis sûre qu’elle a été construite par des sorcières et qu’elle est encore hantée par certaines d’entre elles).

Bref. Voilà tous les murs qui me séparent de l’enchantement de Prague pour l’instant.

Mais je vous promets, ça va aller mieux. Ca va déjà un peu mieux, d’ailleurs. Je suis une fille qui tombe amoureuse des villes comme Prague, de toute façon. Peu importe les gens pas sympas, peu importe les bâtiments noircis, peu importe le ciel, peu importe les touristes. Peu importe, même, à quel point Budapest me manque. Bientôt tout ça me passera complètement au-dessus de la tête et je pourrai profiter de la ville à 100%.

Bientôt, aussi, j’aurai mon copain à Prague avec moi, on vivra dans un appartement avec une terrasse au dernier étage d’un bâtiment donnant vue sur les toits. Bientôt je viendrai ici vous dire à quel point Prague est belle. Bientôt  le printemps viendra pointer le bout de son nez. Et comme d’habitude, je mitraillerai la ville de photos quand le ciel sera bleu.

Et tout ira bien.

15 commentaires sur Prague : L’enchantement tué dans l’oeuf

  1. J’ai été en Erasmus à Prague et je n’en garde vraiment que de très bons souvenirs (mis à part l’absence de soleil d’octobre à janvier)… C’est vrai que j’étais dans un contexte assez particulier, mais je peux dire que Prague me manque et que je rêve d’y retourner !! J’espère que tu arriveras à te faire à la ville et que tout se passera bien pour toi. Si les avions sont hors de prix, renseigne toi sur les bus pour les voyages. J’ai pû aller à Bratislava, Vienne, Krakow et un peu partout en République Tchèque pour pas grand chose.

    Bonne journée à toi !!

    • Oui le contexte a un grand rôle à jouer ! Pour moi le contexte était pas bon du coup ça a influencé fortement ma vision de la ville. Et j’attends l’été avec impatience, j’avoue que j’en ai marre de l’hiver aussi ! Merci pour ton conseil, je vais checker les bus alors. Et merci pour ton commentaire :)!

  2. Cet article me touche vraiment beaucoup, je m’y reconnais… et je regrette qu’on se soit “découvert” trop tard ! Je n’ai pas de conseils à te donner, ça serait hypocrite puisque je n’arrive pas à les mettre en pratique moi-même. Tu viens bientôt pour me montrer ton Budapest ?

    • Oh merci beaucoup pour ton commentaire 🙂 ! Oui c’est vraiment con que je sois tombée sur ton blog seulement un peu avant de quitter Budapest ! Je reviendrai peut-être à Budapest le week-end du 11 mars, t’y seras ? 🙂

  3. Je serai là oui mais c’est le week-end où débarquent ma mère et mon frère ! du jeudi au lundi soir (c’est férié ici du vendredi au mardi inclus)

    • Ah zut ! Bon ben une autre fois alors j’espère :). (Je suis jalouse de cet énorme week-end férié ahah, profites-en bien !)

  4. Tu as une superbe écriture ! J’ai dévoré ton article dans lequel tu arrives à faire passer de façon limpide les sentiments si paradoxaux de tes premiers temps à Prague… Je ne connais pas Budapest mais ton “contre article” me donne envie de filer découvrir cette ville ! Je connais Prague pour toutes les raisons que tu abordes au-dessus.. J’en ai un plutôt bon souvenir mais bizarrement n’est pas été transcendée par cette ville.. Bien qu’elle fut mon premier “vrai” voyage et qu’elle sonne donc un peu comme un doux souvenir… Merci !

    • Merci à toi pour ton commentaire, ça me fait super plaisir 🙂 !! Et effectivement, je ne peux que te conseiller d’aller visiter Budapest (surtout en été avec tous les bars dans des cours intérieures !). Tu peux déjà en avoir un aperçu dans mes articles sur la ville :). Évidemment les circonstances dans lesquelles j’ai vécu à Budapest la rendent encore plus jolie à mes yeux, mais elle est sans aucun doute un petit bijou d’Europe centrale/de l’Est :).

  5. Coucou ma belle, ce que tu dis dans cet article me fait doucement rire. J’ai vécu la “même chose” à l’envers.
    Je n’y ai jamais vécu longtemps, et toujours pour visiter. Je suis venue à Prague, puis je devais y retourner sauf qu’au final, on a changé les plans et on est allé à Budapest. J’en ai pas autant profité du coup.
    Bon, c’était en tant que touriste, hein, donc c’est super méga différent, mais voilà, ça m’a fait rire de voir la situation inverse.
    Après, pour avoir vécu les même situations que toi, c’est ça, il faut que tu fasses ton deuil de Budapest, que cette tristesse deviennent de bons souvenirs, que ton petit coeur cicatrise. Je sais que dans quelques temps, tu pleureras Prague car tu auras appris à l’aimer pour ce qu’elle est et non pas pour ces différences avec Budapest!
    En attendant, bonne chance ma belle, je sais que ça n’est pas simple!
    Pleins de bisous!

    • Ahah ! Oui c’est sûr, tout dépend des circonstances dans lesquelles on découvre une ville. Et comme celles qui m’ont amenées à Prague étaient plutôt tristes et amères, ça n’a pas aidé à voir ses bons côtés. Mais je sais qu’ils vont bientôt apparaître devant mes yeux, un par un :). Et le retour du beau temps jouera très certainement un grand rôle là-dedans ! D’ailleurs je viens de voir ton article sur Prague, tes photos sont super jolies, ce qui me donne une fois de plus envie que le printemps soit déjà là !
      Merci beaucoup pour ton commentaire :). Bisous !

  6. Kenza m’a lu ton article alors que j’étais chez elle et que j’arrivais de trois jours à Prague (et de deux jours à Vienne). Evidemment, je lui vantais les mérites de Prague, à quel point la ville était jolie, que sous la neige ça avait été magique, toutes les rencontres que j’avais faite, l’impression d’être entourée de maisons de poupée et d’être à DisneyLand à la fois. Je me rappelle la dernière partie, où elle me lisait “les bâtiments noircis” (où j’ai acquiescé), “la vue sur le Danube à Budapest”. Je me rappelle lui avoir dit que non, Prague de nuit sous la neige lui volait la vedette. Et ce soir là, on est sorti, on est monté tout là haut pour voir la vue sur le Danube, et je crois que je n’ai pas arrêté de répéter à quel point c’était joli (je prenais tellement de photos que Kenza avaitt froid et s’impatientait), et je suis allée voir le Parlement, la château, Matthias de plus près. Et j’ai crié haut et fort sur twitter que Budapest valait le coup rien que pour sa vue de nuit. J’ai aimé Prague parce qu’elle est jolie, mais je ne pourrais pas y vivre. J’ai aimé Budapest parce qu’elle est jolie, et que je me verrais y vivre.
    Evidemment en tant que touriste et trois/qautre jours dans une ville, on voit facilement que les bonnes choses, mais je crois que comme tu le dis toi-même, en plus de la ville, ce sont les souvenirs que tu as à Budapest qui te rendent nostalgique, qui te “bloquent”. Ce sont ces soirées dans les bars cachés, toutes ces fois où tu as traversé les ponts de nuit et où tu t’es exclamé à quel point c’était joli, ces sourires (qui personnellement ne m’ont pas sauté aux yeux ni à Prague, ni à Budapest), ces habitudes que tu avais crées qu’il a fallu défaire pour tout refaire.
    C’est un bel article. Bises et courage, tout ira bien comme tu le dis 🙂

    • Merci beaucoup pour ton commentaire ! Ca me fait énormément plaisir de lire des commentaires comme le tien :). Oui c’est sûr, quand on vit dans une ville on l’aime (ou pas) aussi et surtout pour les souvenirs qu’elle nous offre, les moments qu’on y passe, les personnes qu’on y rencontre,… Honnêtement, si j’avais visité Budapest et Prague pour la première fois en tant que touriste, je ne pourrais pas dire quelle ville j’aurais préféré. Il se peut que ça soit Prague (malgré que oui, la vue de nuit à Budapest est imbattable !!), mais c’est vrai que pour le moment Budapest mène largement la “bataille”. Mais j’attends patiemment l’arrivée du printemps pour pouvoir mieux profiter de Prague, je pense que l’hiver ne lui rend pas justice, sauf lorsqu’il neige évidemment :). Bisous !